Le vent glacial des montagnes frappait les crêtes enneigées, hurlant à travers les cieux comme une bête sauvage. Il caressait les écailles d'obsidienne de mon corps colossal, m'animant d'une énergie frémissante. Là, au sommet du pic le plus élevé de la chaîne de Drakon, je dominais le royaume d'Aethelgard, mon regard perçant balayant les forêts profondes, les vallées verdoyantes, et les villages humains, minuscules sous ma vue d'aigle. Ces terres, ces créatures, tout semblait si fragile face à ma grandeur. Cela faisait cent cinquante et un ans que j'étais revenu sous cette forme imposante. Cent cinquante et un ans de solitude, de distance, une solitude que j'avais choisie, et qui ne m'avait jamais semblé lourde. La puissance en moi était insondable, mais elle n'était rien comparée à ce que j'avais été.
Ma silhouette, immense et de fer noir, imposait le respect et l'effroi. On parlait de moi comme d'un être légendaire, un titan des cieux, capable de tordre les éléments à ma volonté, de régénérer mes blessures en un instant. Mais ces récits ne dévoilaient que la surface. Ils ignoraient le poids de l'homme qui s'était perdu dans le dragon. Les souvenirs d'une vie sur une Terre lointaine, d'une existence humaine, d'une douleur profonde, s'accrochaient à mon esprit, me marquant bien plus que toute la puissance que j'avais acquis. Ces vestiges d'humanité, invisibles aux yeux des autres, étaient prisonniers dans ma chair de dragon, me rappelant sans cesse ce que j'avais été, ce que j'avais perdu.
Sous l'armure d'obsidienne qui me protégeait, mes cheveux bleus cobalt se dissimulaient, un héritage de ce passé que j'avais enfoui. Une partie de moi que je n'avais jamais pu oublier, même dans la forme imposante que j'avais choisie.
Aujourd'hui, alors que je m'asseyais sur mon trône de pierre, taillé par des siècles de vents et de neige, une sensation étrange se fit sentir, un trouble qui ne venait ni d'un danger immédiat ni d'un déséquilibre élémentaire. C'était un frémissement, un appel lointain et presque inaudible, mais puissant, résonnant au plus profond de mon être draconique. Le monde semblait sur le point de basculer, et je le ressentais dans chaque fibre de ma conscience. Ce n'était pas un avertissement direct. C'était autre chose, un avertissement implicite. Un rituel ancien, protecteur de cet équilibre fragile, était menacé par une force encore inconnue. Une menace vieille comme le monde, qui semblait avoir pris racine dans des ténèbres que même mes yeux ne pouvaient discerner.
Là, au-dessus de moi, un aigle royal fendait l'air, son ombre glissant sur la neige immaculée. Les nuages lourds qui s'amoncelaient à l'horizon annonçaient une tempête imminente. Le vent, implacable, hurlait à travers la chaîne de montagnes, agitant les cieux et les terres en dessous. Cette agitation que je ressentais n'était pas simplement la marque de l'influence des éléments, mais quelque chose de plus… personnel. Un vent de changement. Un vent que je ne pouvais ignorer.